Agir et penser comment tout le monde n’est jamais une recommandation; ce n’est pas toujours une excuse. A chaque époque, il est des gens qui ne pensent pas comme tout le monde, c’est-à-dire qui ne pensent pas comme ceux qui ne pensent pas. Marguerite Yourcenar

jeudi 25 mars 2010

Les âges de la vie d'après Hans Baldung

Rien n'interpelle plus que les œuvres de Hans Baldung sur les âges de la vie. Ce peintre de la Renaissance (il naquit autour de 1484 en Allemagne et mourut en 1545 à Strasbourg), étonne par la nature funèbre de la vieillesse. Élève de Albrecht Dürer, Baldung est l'une des figures artistiques marquantes de l'Europe du Nord à cette époque.

Malgré que plusieurs de ses œuvres intéressent "l'art de la vieillesse", je consacre mes propos sur Les trois âges de la femme et la mort (1510) et Les trois âges de l'homme (1539). La raison: elles sont provocantes... Pour aujourd'hui, néanmoins, l'emphase est mise sur Les trois âges de la femme et la mort.


L'oeuvre est énigmatique. Quatre figures composent la peinture: l'enfant, la jeune femme, la vieille, la et mort. Quatre figures qui représentent les trois âges de la vie. Les chiffres trois et quatre ne sont pas anodins. D'une part, le chiffre quatre a un bagage symbolique important. Ainsi, il y a quatre points cardinaux, il y a quatre éléments et humeurs chez Aristote, il y a quatre périodes dans la journée (matin, après-midi, soir, nuit), il y a quatre saisons, etc. Le chiffre trois, quant à lui, renvoie à la Sainte Trinité (Père, Fils, Saint-Esprit), au syllogisme grec (thèse, antithèse, synthèse). La peinture n'est pas équilibrée, en ce sens que la mort se retrouve seule dans la partie droite, tandis que les trois autres figures se concentrent à gauche. Baldung jouit d'une sensibilité à travers son œuvre, étant donné que les âges de la vie et la mort ont tous un lien les uns avec les autres. Cette sensibilité est réussie à partir du drap qui relie l'enfant, la jeune fille et la mort. En ce qui concerne la vieille, elle entre en relation avec la jeune fille et la mort par l'audace de ses gestes. Voyons de plus près chacune de ces figures.

Dans le coin inférieur gauche de la peinture, l'enfant... Figure d'innocence et de pureté depuis l'Antiquité. À ses pieds, deux objets: la pomme et le cheval. Si on se tient à la Genèse, la pomme représenterait ici la chute de l'homme. L'enfant n'est pas une figure d'innocence et de pureté, mais semble plutôt renvoyer au péché originel. À propos du cheval, il est plus qu'un jouet... En effet, les âges de la vie sont parfois attribués à des animaux. Ainsi, dans les fables d'Ésope (écrivain grec du 7e siècle avant notre ère), le chien représente la vieillesse, car il est amical avec ceux qui prennent soin de lui. Le bœuf renvoie à l'âge adulte étant donné sa force et sa propension au travail. D'ailleurs, il est celui qui nourrit l'enfance et la vieillesse. Vous devinez, j'en suis sûr, la représentation de l'enfance chez Ésope: le cheval! Il symbolise l'arrogance de l'enfance et son manque de discipline. La pomme et le cheval additionnés, on peut dire que l'enfance n'est pas un âge d'innocence et de sérénité pour Baldung.

La deuxième figure, la jeune femme. Élément central de la peinture, elle détonne complètement par sa blancheur et sa finesse. Son regard est porté vers elle, c'est-à-dire à travers son reflet dans le miroir. Une particularité de l'œuvre qui accentue l'importance de la jeune femme: les autres figures portent toutes un certain regard sur elle. Une question se pose: qui est cette jeune femme? Que représente-t-elle? La réponse n'est pas donnée... On ne peut qu'émettre des interprétations. Certains vont dirent qu'elle représente Aphrodite, la déesse de l'amour. Par contre, il est difficile d'expliquer pourquoi la mort tient un sablier (symbole du temps qui s'écoule) au dessus de sa tête. Si la jeune femme est bel et bien une déesse, pourquoi se préoccuper du temps? D'autres auteurs vont attribuer à la jeune fille l'allégorie de la vanité étant donné qu'elle semble absorbée dans la propre réflexion de sa beauté...

La vieille est relativement en retrait. Sur le côté gauche du tableau, la vieille est peinte sous les attributs de la décrépitude: édentée, grisonnante et ridée... Malgré tout, son rôle dans l'œuvre n'est pas passif. Au contraire, elle semble réagir au passage du temps (par sa main gauche) en essayant d'arrêter ou de repousser le sablier tenu par la mort. De plus, elle soutient (par sa main droite) le miroir de la jeune fille. Cette mise en scène de la vieillesse interpelle. En effet, la vieillesse est une période misérable à la lumière des autres âges de la vie. L'interprétation de Baldung semble suggérer le désir de rester jeune, de conserver les attributs de la jeunesse, prévaut sur la vieillesse. Par le fait même, la vieille semble indiquer qu'elle ne veut pas vieillir, voire mourir. Je m'interroge, car certaines interprétations voient dans la vieille femme l'allégorie au vice? Est-ce le vice de ne pas vouloir vieillir et mourir? Je n'en sais guère...

La dernière figure, et non la moindre, c'est la mort. Cette figure funèbre prédomine aussi la peinture. C'est dans la rencontre avec la jeune femme que la mort fait violence. Par sa laideur, par son aspect macabre et funeste, la mort oblige à repenser chacun des âges de la vie. Ainsi, par son arrogance et son insubordination, l'enfance semble se moquer de la mort par le jeu. La jeune femme ne se préoccupe guère de la mort, étant absorbée par la beauté de son âge. La vieille, quant à elle, étant au crépuscule de sa vie semble se révolter face à la mort. Elle n'accepte pas l'inévitable: Lasciate ogni speranza, ou abandoner tout espoir. À la fin, il y aura la mort...

Et voilà pour cette fois. Les trois âges de la femme et la mort de Hans Baldung constitue une œuvre classique dans l'interprétation du vieillissement et de la vieillesse. La prochaine fois je revisiterai Les trois âges de l'homme...

Source: http://www.all-art.org/history230-14-2.html

vendredi 19 mars 2010

Certaines justifications

Le départ initié, il est temps d'expliquer et de justifier quelques éléments.

L'art de la vieillesse est un espace d'écriture pour moi. Un espace qui me permet de ne pas être étudiant, c'est-à-dire ne pas être à la suite des idées des autres.

Depuis quelque temps, j'ai développé un intérêt pour l'histoire de la vieillesse. Suite à plusieurs lectures, j'ai croisé sur le chemin l'art. De plus en plus, je crois qu'à travers l'art nous pouvons comprendre un peu mieux l'expérience de la vieillesse et peaufiner notre "art de vieillir".

Il y a beaucoup de périodes à travers l'histoire. Je vais tenter d'en explorer certaines, particulièrement le Moyen-âge, la Renaissance et la Modernité. Un peu d'ordre serait préférable. Ainsi, pour chaque période je vais initialement décrire le contexte historique. Quelle est la proportion de vieux dans les sociétés? Quelles sont les conditions de vie des vieux? Etc. Ensuite, je vais visiter dans un premier temps la vieillesse dans les arts, tels que présentés à travers le "Vieil homme et l'enfant".

Dans un deuxième temps, j'explore le processus du vieillissement. Par exemple, l'œuvre intitulé Allégorie du vieillissement gouverné par la prudence de Tiziano Vecellio (aussi nommé Titien) en 1565. Le vieillissement est peint d'une manière relativement traditionnel, à savoir qu'il est représenté en trois périodes; l'âge de l'enfance (le chien), l'âge adulte (le lion) et l'âge de la vieillesse (le loup). Elle dépeint Tizianon à la vieillesse (à gauche, ou au crépuscule), son fils Orazio (au centre, ou à midi) et un jeune neveu (à droite, ou à l'aurore), Marco Vecellio. La lumière vient intensifier le vieillissement: la jeunesse étant éclatante, tandis que la vieillesse tombe dans l'ombre. Une inscription latine, quelque peu invisible ici, est ajoutée par l'artiste: Ex Praeterito/Praesens Prudenter Agit/Ne Futura Actione Deturpet. C'est-à-dire, "À partir du passé/ Le présent agit avec prudence/ De peur de ruiner les actions futures". Dans cette œuvre, Tiziano est le passé, Orazio le présent et Marco le futur. Le thème de la continuation est mis en valeur, car le processus du vieillissement se situe à travers les liens familiaux accentuant les liens intergénérationnels.

Enfin, je dois vous mettre en garde. Il y a de forte chance que je digresse parfois. Certains peintres nécessitent un regard plus attentif, tels que Rembrandt. Des thèmes récurrents aussi nécessitent un intérêt plus approfondi, comme La charité romaine.

mercredi 17 mars 2010

Le Vieil homme et l'enfant


Le Vieil homme et l'enfant de Domenico Ghirlandaio. Voilà un départ. Nous sommes en Italie, 1490.

Cet ouvrage est connu pour son illustration d'un rhinophyma, c'est-à-dire d'un nez prononcé, bulbeux et sanguin. N'ayez crainte, ce n'est pas le panache de la vieillesse.

Outre cette déformation, l'ouvrage de Ghirlandaio est majestueux. Tout se joue dans le regard entre le vieil homme et l'enfant. Un regard attendrissant, rempli de compassion. En quelque sorte, cet échange est un hymne à la rencontre intergénérationnelle. À la compréhension.

L'Italie du 15e siècle est celle de la Renaissance. Georges Minois (1987), historien français, affirme que la vieillesse n'est guère appréciée à cette période. L'Europe redécouvre les arts hellénique et romain, autrement dit l'esthétique de l'Antiquité. Ne vous étonnez pas, la Grèce de l'Antiquité ne fait pas de cadeau à la vieillesse, tant dans ses comédies, dans son art, dans sa mythologie que dans sa philosophie (je me promets d'y revenir plus en détail un jour).

Par contre, pouvons-nous réellement dire que le Vieil homme et l'enfant est une satire ou une dérision de la vieillesse? Minois semble tirer des conclusions très hâtivement. Je peux vous assurer que les premiers "messages" de L'art de la vieillesse seront à déconstruire cette présomption de Minois concernant la vieillesse à la Renaissance, car malgré des œuvres méprisant la vieillesse, il reste que la grande majorité porte un regard humaniste sur cette période de notre vie.