Agir et penser comment tout le monde n’est jamais une recommandation; ce n’est pas toujours une excuse. A chaque époque, il est des gens qui ne pensent pas comme tout le monde, c’est-à-dire qui ne pensent pas comme ceux qui ne pensent pas. Marguerite Yourcenar

mercredi 21 avril 2010

Giorgione (1477-1510)

Enfin, après une course folle avant le départ et le travail, voici le dernier né! Merci de votre patience...

À l'aube du 16e siècle, un grand peintre vénitien du Cinquecento italien, surnommé Giorgione, réalise trois peintures. L'une concernant la vieillesse (La Vecchia, 1508), les autres le vieillissement (Les trois philosophes, 1509; Les trois âges, 1510). Que connaissons-nous sur l'artiste? Très peu de chose! Mort subite de la peste en 1510, soit à l'âge de 33 ans, Giorgione est une énigme pour plusieurs. Malgré son jeune âge, l'artiste italien réalise trois œuvres sur la vieillesse et le vieillissement. Trois œuvres qui sont très différentes de ce que Hans Baldung a réalisé.

La Vecchia (1508), ou la vieille, semble être en toute apparence un portrait. Il est important de souligner, surtout après s'être attardé sur les œuvres symboliques de Baldung, qu'on a en face de nous une personne réelle. Elle n'est pas une image idéalisée de la vieillesse, mais une vieille en chair et en os. Elle ne présente aucune luxure, ce qui me fait dire qu'elle est pauvre, ou n'est certainement pas riche. Aussi, et c'est Tom Lubbock (2006) qui le fait remarquer, elle a la bouche ouverte. Aucun portrait à cette époque a la bouche ouverte... Ces détails amènent Lubbock à dire: "She is in a state". Je suis d'accord. Elle illustre un état et un moment de notre vie. D'ailleurs, elle a près de la main droite, comme attaché à elle, une étiquette: Col Tempo
(Avec le temps). Enfin, elle pointe la main vers elle-même... Avec le temps, ce corps! "With time I became, you'll become, we all become" (Lubbock, 2006). La vieillesse est inévitable pour ceux et celles qui s'y rendent. C'est fort, très fort comme peinture. À partir de la combinaison d'une humble vieille et d'une étiquette, le constat irrévocable de notre vieillissement est solidement exhibé.

La deuxième peinture que je présente aujourd'hui, Giorgione la termine un an avant de mourir. Les trois philosophes (1509) montre trois philosophes, l'un jeune (à gauche), l'un adulte (au centre) et l'un vieux (à droite). Que dire de ces philosophes? Primo, le jeune tient entre ses mains un compas et une équerre, c'est-à-dire des objets lourdement symbolique. En effet, le compas trace le cercle, symbole de la forme parfaite. Il renvoie au ciel et à l'esprit. L'équerre, quant à elle, est le symbole de l'équité, traçant le carré. Elle représente la Terre et la matière. Ainsi, entre ses mains, le jeune philosophe tient deux univers. La jeunesse est-elle la tension entre l'esprit et la matière? Secundo, le philosophe adulte est sans contredit musulman étant donné ses apparats (particulièrement le turban). D'ailleurs, la ressemblance avec Averroès, philosophe et médecin musulman, n'est pas absurde. Tout semble à croire que l'adulte représente un médecin. Tiercio, le vieux philosophe est dignement représenté, portant une étoffe dorée et, entre ses mains, une carte astronomique. Symbole céleste, les astres ont toujours été un repère afin de s'orienter et, par le fait même, d'espoir et de réconfort. Le vieux philosophe est-il un sage dont la connaissance et la parole éclairent l'esprit? Par contre, les astres sont dans plusieurs cultures la représentation des âmes des défunts. Ainsi, le vieux philosophe a-t-il entre les mains un symbole de la mort, étant par son âge, inévitablement poussé? Ces questions illustrent d'une chose: Les trois philosophes est une œuvre remplie de mystères et de secrets.

L'une des dernières œuvres de Giorgione avant sa mort, Les trois âges, est réalisée en 1510. Les trois âges... Encore trois! Vraiment, c'est la division des âges la plus prédominante jusqu'à maintenant. Giorgione offre une interprétation humaniste du parcours de vie. Veuillez excuser ma digression historique, mais pourquoi la vieillesse et le vieillissement sont souvent représenté à partir des traits masculins? La réponse est que l'espérance de vie favorise les hommes plutôt que les femmes avant le 20e siècle. Les décès durant l'accouchement étant très répandu explique en grande partie la prédominance masculine de la vieillesse. Après cette petite digression, retour aux Trois âges de Giorgione. L'action se situe entre la jeunesse (au centre) et l'âge adulte (à gauche). La vieillesse (à droite) ne participe pas à la discussion ou à l'échange avec les autres âges. Elle n'est pas un mouvement, mais plutôt un instant. La vieillesse échange avec celui qui l'observe un regard. Que peut bien vouloir dire ce regard? Est-ce de l'amertume? De la tristesse? Du ressentiment? Le regard contraste avec l'apparence de la vieillesse. En effet, elle n'est pas représentée sous ses mauvais apparats. Le vieux semble en santé et vigoureux. Mise à part les traits "traditionnels", cheveux blancs (lorsqu'il y en a!) et rides, la vieux ne ressemble pas à un vieux. Ainsi, ce contraste entre le regard et l'apparence signifie-t-il quelque chose? À mon sens, Giorgione semble vouloir dire la même chose qu'à travers La Vecchia
: Col tempo!

Voilà... une petit pause de deux semaines vu que je quitte pour certaines cités du vieux continent. Un temps pour le travail. Un temps pour les amis. Un temps pour l'art de la vieillesse! Je vais, à mon retour, m'attaquer à un incontournable: Quentin Metsys.

1 commentaire:

  1. Intéressant. Attention au mot "luxure" cependant. Je dirais plutôt "signe de richesse"

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