Agir et penser comment tout le monde n’est jamais une recommandation; ce n’est pas toujours une excuse. A chaque époque, il est des gens qui ne pensent pas comme tout le monde, c’est-à-dire qui ne pensent pas comme ceux qui ne pensent pas. Marguerite Yourcenar

lundi 12 avril 2010

Les âges de la vie d'après Hans Baldung - Suite

Près de 30 ans après Les trois âges de la femme et la mort (1510), Hans Baldung peignit Les trois âges de l'homme (1539). Si depuis 1510, Baldung interpréta le parcours de vie à partir de la jeunesse, ce n'est plus le cas en 1539. Avec Les trois âges de l'homme, Baldung réinterprète complètement la vieillesse et le vieillissement de l'homme.

Ce tableau illustre, encore une fois, la jeunesse, l'âge adulte, la vieillesse et la mort. Néanmoins, il transparaît un autre esprit, une autre appréciation des trois âges de la vie. En 1510, Baldung peignit ces âges à travers un paysage luxuriant et mystérieux, où l'âge adulte retenait l'attention. En 1539, la dynamique de l'œuvre est tout autre: le paysage est aride, désertique, voire funèbre. L'artiste suggère-t-il que le parcours de vie est un chemin aride et désertique de sens étant donné sa marche funèbre? D'ailleurs, aucun des âges de la vie ne partage une quelconque joie, d'euphorie, de bonheur ou de gaieté. Que ce soit la jeunesse, l'âge adulte ou la vieillesse, ces figures font des Trois âges de l'homme une œuvre triste, sombre et lugubre.

La jeunesse est représentée par l'enfant étendue dans le coin droit. Contrairement aux Trois âges de la femme et la mort, l'enfant est désormais au pied de la mort. Est-ce un reflet de la mortalité infantile si répandue à cette époque? La jeunesse semble blafarde, agonisante et cadavéreuse. Renforçant cette impression, la jeunesse est isolée des autres âges de la vie. Elle a pour seule interaction que la mort dont, nous le verrons, a une emprise autoritaire sur la jeunesse...

L'âge adulte, représenté par la jeune femme, est plutôt en retrait des autres âges de la vie. Le mouvement de ses jambes semble vouloir s'éloigner de la vieillesse, de sortir de son emprise inexorable. Elle s'oppose aux autres âges et à la mort par sa blancheur, sa douceur et sa légèreté.

La vieillesse paraît s'accrocher à l'âge adulte en tenant par la main l'étoffe de la jeune femme. Un élément de la vieillesse rend cette œuvre particulièrement intéressante: elles entrecroisement son bras gauche avec la mort. Il y a à travers l'action d'être à bras croisés un symbole fort: c'est la figure de l'amitié, de la fraternité et de l'affinité. Pour Baldung, la nature de la vieillesse et de la mort paraît se ressembler.

Enfin, la dernière figure, et non la moindre, est la mort. Sous s'est traits squelettique et desséché, la mort compose, selon moi, la centralité de l'œuvre. En effet, elle est le centre de l'interaction, où les autres figures la rejoignent: la jeunesse tient son bâton et la vieillesse est à bras croisés.

Plusieurs symboles parsèment l'œuvre du disciple de Dürer. Primo, la chouette renvoie au symbole funeste… En ce sens qu'au sein des croyances romaines, la chouette constitue le maléfice et la mort. En effet, les termes latins striga - i.e. sorcière - et strix - i.e. chouette/stryge - sont étroitement associés en latin. Cet oiseau nocturne que représente la chouette boirait, selon les croyances, le sang des enfants pendant la nuit. De plus, la chouette renvoie à la mort étant donné sa nature noctivague et la quasi-impossibilité de la dénicher ou de l'apercevoir de jour. D'ailleurs, chez les Romains, apercevoir une chouette durant le jour serait le signe d'un mauvais présage.

Secundo, le bâton que tient la mort par sa gauche. Le bâton, en tant que symbole, signifie l’autorité et le pouvoir. C'est pourquoi, d'ailleurs, que la monarchie a depuis longtemps utilisé la symbolique entourant le bâton pour illustrer le sceptre d'ostentation et d'autorité. Le tableau de Hyacinthe Rigaud Portrait of Louis XIV (1701) et celui de Jean Auguste Dominique Ingres Napoléon Ier sur le trône impérial (1806) sont des exemples éclatants, car le sceptre y est brillamment illustré! Au sein des Trois âges de l'homme, le bâton figure comme le symbole d’autorité, de pouvoir et du commandement de la mort. La mort décide du jugement dernier et elle est irrévocable, d'où l'expression Lasciate ogni speranza. Une question reste cependant: pourquoi le bâton est cassé à deux endroits? Que peut bien vouloir dire cette attention de l'artiste? Est-ce parce malgré tout, l'enfance représente la naissance et la vie, c'est-à-dire l'échec de la mort?

Tertio, le sablier tenu par la main de la mort évoque certes le passage inexorable du temps, mais aussi la brièveté de la vie. Il symbolise le caractère transitoire de la vie dont la mort détient l'ultime aboutissement... Quarto, la sphère au-dessus du sablier. Elle vient combler l'effet du temps en suggérant la globalité du monde et le déroulement des choses. La sphère représente ainsi toutes les choses et le mouvement qui les anime et les relie entre elles. Chez les Grecs, la sphère représentait la perfection du monde (tous les points sont à égale distance du centre) sans début ni fin, accentuant l'effet du temps et de l'éternité.

En résumé, Les trois âges de l'homme de Hans Baldung représentent l'une des interprétations les plus sordides, lugubres et funestes du parcours de vie, du vieillissement et de la vieillesse. À travers cette œuvre, nous comprenons encore plus le sens des paroles de Georges Minois lorsqu'il affirmait que face au le vieillissement, " [...] l’homme du 16e siècle va osciller entre les lamentations et l’invective" (1987, p.341), à un tel point que la vieillesse s'associe avec la mort. L'une et l'autre sont indissociables et répugnantes.

Pour l'aparté, l'un des buts de mon voyage en Espagne est le Musée Prado à Madrid. Plus particulièrement, Les trois âges de l'homme de Hans Baldung. Pour tout dire, j'ai hâte de me retrouver devant ce chef-d'œuvre de la Renaissance et de contempler, du même coup, une part de mon propre vieillissement.

5 commentaires:

  1. Bonjour , j voudrais attirer votre attention sur un element du tableau que vous avez oublié. En effet en haut a roite du tableau au dessus du personnage representant la mort, si on zoom on peut apercevoir un crucifie. Cela montre l'espoir des homme face a la mort : la religion et la vie eternelle dans le paradis. Cela montre que ce tableau est une vanité "Memento mori" rappelle toi que tu vas mourrir .
    Voila mon analyse de cet element que vous avez oublié . j attend votre avis sur cette analyse.
    bonsoir

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  2. de plus deux representations du temps:
    - temps lineaire: on nait, on vit, on meurt
    - temps cyclique: on vit on meurt puis on vit dans le paradis pour l'éternité

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  3. quel est le mouvement artistique sil vous plait?
    merci.

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    1. je ne suis pas sur mais je dirais le maniérisme .

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